dimanche 5 octobre 2014

Armand D'Estebaie

Armand D'Estebaie




Cela faisait trois nuits, qu'à chaque réveil, ma mâchoire était atrocement douloureuse,
Et mon esprit totalement embrumé.
Je n'étais pas plus inquiet que ça, mettant ces troubles sur le compte des examens finaux
Et du stress intense induit qui m'avait entraîné dans une insomnie chronique.
J'étais en effet à la fin de mon année de doctorat en médecine légale,
Concluant une thèse sur les crimes de nécrophagie aux cours des siècles.
Lors de mes recherches je fus amené à voyager dans la vieille Europe,
Où au moyen-âge une secte nécrophage avait pris naissance,
Terrorisant le bas-peuples durant deux siècles,
Ses membres, devenus des personnages de cauchemars populaires,
Jouissaient de la réputation d'avoir percé les secrets de l'immortalité,
Par le biais d'une transformation mystérieuse.
Ressasser tous mes travaux en vue de valider mon année,
Dû déclencher en moi un mécanisme complexe de rêves dérangeants remplis d'actes écœurants.

Un matin, encore nauséeux et endolori par une nuit mouvementée,
Le concierge de la résidence universitaire me fit part de son mécontentement
Quant à mes sorties nocturnes, silencieuses mais salissantes,
Laissant de nombreuses traces de boue et de terre dans le hall.
Surpris par ces reproches, je niai toute implication.
Mais il affirma qu'il m'avait vu sortir puis revenir deux heures plus tard,
Sale et comme plein d'une excitation morbide, arborant un étrange sourire et des yeux fous.
Dubitatif je continuais ma journée non sans malaise.
Arrivé le soir, épuisé, je m'assoupis affalé dans mon fauteuil, laissant la télévision allumée.
À mon réveil le journal télévisé mentionnait des actes de vandalisme
Dans le cimetière centenaire, mitoyen de l'université.
Des tombes avaient été retournées et des cadavres récents mutilés.
Je m’habillai et descendis dans le hall où une annonce officielle
Interdisait toute sortie après vingt-trois heures.
Un couvre feu en réponse aux dégradations nocturnes mentionnées par le concierge.
Après une nuit particulièrement déstabilisante je remarquai qu'une fenêtre était ouverte,
Et mon studio plein de boue et de terre menant à la salle de bain.
Intrigué, je décidai de me rendre dans le cimetière de nuit,
Directement après les cours sans retourner dans ma chambre,
Convaincu d'être à l'origine de tout ce remue-ménage,
Plongé dans des crises inquiétantes de somnambulisme.


Le cimetière, étouffé dans une brume crépusculaire, semblait désert.
J'arpentai les allées, m'enfonçant jusqu'à une place ou un étrange mausolée trônait.
J'ouvris la porte et pénétrai à l'intérieur, fétide et humide.
Mes yeux mirent un certain temps avant de s'habituer à l'obscurité profonde.
C'est alors que la terreur incrusta mes os me rendant rigide et muet.
Trois moines en froc épais, dissimulant des formes lointainement humaines,
Me faisaient face, m'invitant à les suivre dans la pièce suivante où brillaient d'étranges lueurs.
Je ne sais quel folie s'empara de moi me laissant obéir à leur requête.
Avançant en direction des lumières blafardes et tremblotantes,
J'entendis, derrière moi, qu'on verrouillait la porte, condamnant ma dernière chance de sortie.
Là leurs compagnons m'attendaient, nus et défigurés en une posture d'attente animale.
Leur peau luisante, noire et humide, leurs têtes rondes dégarnies où pendaient quelques misérables poils tenant place de chevelure, leurs oreilles immenses de chauve-souris,
Leurs yeux rougeâtres et perçants, l'absence de nez laissant seulement deux fentes verticales,
Et leurs bouches carnassières m'emplirent non plus de terreur mais d'un attrait malsain.
L'une de ces goules ouvrit la gueule pour s'adresser à moi,
Mais n'en sortit qu'un fracas guttural en guise de voix.
Instinctivement mon esprit comprit et je m'agenouillai au centre d'un cercle de bougies sanglantes.
La même créature cauchemardesque vint à ma hauteur et me fit boire le contenu d'une fiole antique.
Je sus que je marquai ici le début d'une nouvelle vie et sombrai dans un sommeil dénué de rêve.
À mon réveil j'étais retourné dans ma chambre trop douillette et hideusement lumineuse.
Je vis ce monde grouillant de vie et de joie, d'êtres faux à la chair pestilentielle du mensonge.
Mon écœurement grandit dans les yeux hautains de mes futures proies.

Désormais j'éprouve une profonde libération, accédant au monde souterrain tant redouté.
Lorsque vous lirez ces dernières notes écrites en tant qu'humain,
Il sera déjà trop tard pour vous, ma transformation aura eu lieu, et je serai passé du coté des abysses, délaissant avec amusement votre précieux monde égoïste.


Aimeric Lerat (Hangsvart) tous droits réservés
08/09/2014 

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