mardi 4 novembre 2014

Aleister Wayne

Aleister Wayne



Mon ascendance me fut longtemps cachée par mes gouvernantes et le personnel médical,
Qui, fréquemment, m’examinait et m’auscultait, parfois dans des conditions bien étranges.
On m'autorisait seulement à savoir que mes parents, désormais décédés,
Possédaient une fortune non négligeable qui entretenait tout ce monde,
Logé dans la maison familiale dont j'hériterais un jour.
Dès l'age de six ans on m'interdit tout contact avec l'extérieur,
M'inculquant des notions bien inhabituelles pour un jeune enfant.
Mes professeurs m’incitaient à développer mon monde intérieur et à laisser libre cours à mon imagination, qui bourgeonna rapidement me permettant de supporter une vie de solitude.
Cependant, cela me déclencha de violents maux de tête, qui s'intensifièrent au fil des années,
Jusqu'à nécessiter une intervention chirurgicale vers mes dix ans.
Les médecins m'apprirent que je fus trépané pendant la nuit,
Et que désormais je n'aurais plus jamais mal au crâne.
Ils installèrent une plaque de métal pour obstruer le trou pratiqué,
Mais on me défendit formellement d'y toucher et tous les jours,
Une infirmière venait la nettoyer et vérifier qu'il n'y avait aucune infection.
Ils m'assurèrent que ma créativité hors normes n'en serait que démultipliée.
Les cours de théologie que je suivais, en plus des matières habituelles comme les langues, les sciences et l'histoire-géographie, devinrent de plus en plus portés sur l'occulte et le mysticisme.
J'assistais stoïquement à mon éducation aux arts noirs de l'humanité.
Je perçus rapidement que je n'étais qu'une expérience d'une secte diabolique.
Au début de mon adolescence j'élaborais des plans pour m'évader du manoir de plus en plus terrifiant, qui, à cause de mon imagination, paraissait presque vivant.
La demeure était entourée d'un bois dense, légèrement marécageux,
Et je compris bien vite que toute tentative serait vouée à l’échec.
Mes gardiens ne tentèrent rien pour m’empêcher de fuir,
Et semblaient prendre un malin plaisir à lire l'angoisse dans mes yeux.
À seize ans le premier incident, inévitable, ravit tout le monde.
Une bonne fut mise en pièces sauvagement alors qu'elle nettoyait ma chambre,
Soudainement plongée dans l'obscurité suite à une coupure de courant étonnante.
Ses membres rongés furent séparés du tronc et ses boyaux suspendus au lustre,
Laissant pendre la carcasse ensanglantée encore palpitante.
J'étais alors présent, tranquillement allongé sur mon lit, plongé dans la lecture d'un livre ancien.
Bien sûr je ne vis rien lors du démembrement, mais entendis tout.
Et ces bruits répugnants allaient me suivre de plus en plus fréquemment.
Les coupures de courant devinrent hebdomadaires,
On tenta de me faire croire à des affaissements de terrain écrasant les câbles.
Je n'étais pas dupe et savais que tout ça n'était que des tests.
Mes soi-disant médecins tentaient d'ouvrir un portail vers les enfers,
Dont j'étais la clé vivante et indispensable.
Dégoûté de mon existence, je n'avais pas même la possibilité d'y mettre fin.
Alors j'essayais de contrôler les forces auxquelles j'étais lié.
C'est ainsi que je pus voir pour la première fois en pleine lumière,
Ce qui se passait lors de ces coupures de courant meurtrières.
Du trou dans mon crâne s'échappaient des ombres monstrueuses et carnassières.
Une fois sorties il leur fallait absolument de quoi se nourrir pour perdurer,
Et une zone d'ombre suffisamment épaisse pour les accueillir.
Il s'en suivit quelques vrais accidents, me procurant un plaisir malsain.
Grâce à leurs expériences et aux miennes, où je résistais volontairement lors de leurs invocations,
Pour empêcher toute apparition sur des temps plus ou moins longs,
Je compris aisément que les ombres voulaient sortir,
Et plus je résistais plus lors de leur sortie elles étaient nombreuses et déchaînées.
À vingt-trois ans je réussis à les contenir pendant huit mois,
Dans l'intention infernale de me libérer définitivement de cette secte monstrueuse.
Le nombre de gouvernantes et de médecins avait sensiblement diminué au fil des ans,
Et la nuit de Walpurgis, à la lune favorable, m'autorisa à déverser les enfers
Dans ce vieux manoir au passé sordide et au futur impensable.
Cela réussit si bien que des débris de corps humains se retrouvèrent éparpillés un peu partout dans chaque pièce me laissant des surprises macabres pendant plusieurs semaines.
Depuis les murs résonnent des cris inhumains de mes anciens geôliers lors des nuits les plus noires.
Les démons hantent encore la vieille bâtisse et moi, animé d'une vie qui ne m'appartient plus,
Je déambule de ma silhouette lugubre dans les longs couloirs abandonnés.



Aimeric Lerat (Hangsvart) tous droits réservés
23/09/2014

Eric Turgand

Eric Turgand




Mon dégoût primaire de l'humanité ne faisait que croître depuis mon emménagement
Dans cette ancienne bâtisse d'un des plus vieux quartiers de Paris.
Elle avait été construite peu après la révolution et son intérieur restait inchangé.
Elle fut léguée de génération en génération d'une famille noble du Nord de la France,
Venue dans la capitale pour des raisons mystérieuses qui finirent par me hanter.
Je l'avais acquise grâce à un arbre généalogique douteux prouvant une soi-disant parenté,
Avec ses anciens habitants, morts depuis peu, dont j'étais l'unique descendant,
Et qui refusaient, dans leur testament, toute vente aux enchères d'un bien qui leur était si précieux.
Acceptant avec joie dans un premier temps ce magnifique héritage,
Je quittai en hâte mon appartement de Lille pour vivre enfin dans une belle maison.
La cinquantaine bien passée, veuf endurci, professeur las d’anthropologie,
Ce déménagement me promettait une nouvelle vie.
Mais après deux jours à errer seul dans ces grands couloirs et ces pièces sombres et poussiéreuses,
Un malaise inconnu s'empara de moi, incrustant une peur insensée dans mes entrailles.
Je me surpris bien vite à jeter des coups d’œil furtifs par-dessus mes épaules,
À guetter le moindre son de cette maison qui semblait posséder une âme propre.
Ses craquements se modulèrent bien vite en gémissements plaintifs,
Et il me semblait percevoir des fragments de voix issus de la cave humide.
En quelques jours mon comportement se changea en une crainte du monde extérieur,
Laissant constamment les volets clos et la porte fermée à clé.
Je n'allumais plus la télévision qui me remplissait d'un dégoût maladif de mes semblables.
Je rentrais en conversation avec moi-même, entre moi-mêmes,
Et parfois arrêtais soudainement tout mouvement et toute discussion, pris d'une terreur pesante,
Accablé par la présence invisible d'êtres malfaisants.
Je laissais alors toutes les pièces ouvertes, apeuré de tomber sur une chose hideuse à l'affût derrière une porte close ; j'allumais le plus de lampes possible la nuit venue, et pourtant chaque soir, un attrait morbide me pressait de plus en plus à descendre dans la cave.
Bientôt des visions se précisaient, comme des images projetées dans mes yeux, mais détachées du monde réel. Je voyais des êtres qui furent certainement humains à leur époque, mais qui désormais n'étaient plus qu'un tas de chair et d'os dans un état de putréfaction écœurant.
Je restais la majeure partie de la journée sur mon lit, que j'avais placé dans un coin de ma chambre, me permettant de surveiller toutes les entrées de la pièce.
Mais bien vite les charognes vinrent me parler et tout un monde grésilla devant la réalité.
Des bébés mort-nés, encore gluants, rampaient sur le sol et descendaient des murs,
Convergeant dans ma direction comme attirés par de la chair fraîche,
Des gargouilles ailées et d'une carrure impressionnante défilaient,
Sans porter d'intérêt à mon corps désemparé,
Et ces caricatures pestilentielles d'humains allaient et venaient,
Menant leur propre vie et interagissant avec le monde.
Pourtant je savais que rien n'était réel et que la folie s'était emparée de moi.
Dans l'un de mes derniers raisonnements logiques, qui me semble flou à présent,
Je descendis à la cave jusque là restée fermée et y découvris un accès
À un tunnel s'enfonçant en pente douce sous la ville connue pour ses catacombes.
Par chance une porte robuste fermait ce passage vers un monde souterrain,
Mais comportait une grille à hauteur du visage laissant apercevoir le début du couloir de pierre.
Bousculé par l'effroi, je décidai de ne pas l'ouvrir et d'appeler Benoît, mon ami resté dans le Nord.
Je lui laissai un message ou j'imagine que mes tourments se reflétaient suffisamment,
Car le lendemain une ambulance vint me chercher et me transféra ici,
Dans cette chambre stérile d'un hôpital psychiatrique.
Et je suis aujourd'hui soulagé de m'être débarrassé de toute responsabilité face à cet héritage maudit, où la municipalité effectua de surprenantes découvertes.
En effet le tunnel conduisait à une chambre mortuaire antérieure aux célèbres catacombes,
Isolée dans les sous-sols de Paris à près d'une centaine de mètres de profondeur.
Il semblerait que des actes d'une cruauté rare y furent commis,
Sur des adultes mais aussi des enfants, vraisemblablement au nom d'un dieu infernal.

Je peux vous confirmer docteur, que la mise par écrit de tout ceci, m'a soulagé quelque peu.
Cependant je crains que quelque chose d'effrayant se soit réveillé en moi,
Et je resterai changé, je le sens, sans jamais pouvoir retrouver une vie normale.


Aimeric Lerat (Hangsvart) tous droits réservés
17/09/2014