samedi 4 juillet 2015

L'évêché maudit

L'évêché Maudit




Il y a une rumeur qui circule dans la région, m'avertissaient certains paysans robustes mais en proie à une peur non dissimulée. Ils paraissaient redouter un hameau tout particulièrement.
Je voyais dans leurs yeux des cauchemars qui leurs semblaient réels. Cependant ils refusaient de s'épancher plus sur ce sujet et devenaient agressifs afin de retrouver leur tranquillité et me faire déguerpir.
La plupart taisait le nom du village maudit, laissant échapper de vagues éléments quant à son lieu, non loin d'un bois dense et d'une vieille église désacralisée.
Fort heureusement il y a peu d'église abandonnée, et je me retrouvais bien vite dans les champs face au hameau tant redouté.
De ma position tout semblait calme, voir vide. Aucun homme ne s’affairait entre les blés, aucun enfant ne jouait sur le chemin. Les volets étaient clos, nul linge n'était mis à sécher dehors.
Toute la zone semblait déserte. Et je pris soudain conscience qu'aucun bruit, aucun chant d'oiseau, aucune brise, ne se faisait entendre.
Je compris alors l'appréhension des locaux, mais pour le moment rien ne justifiait une telle crainte.
Cependant c'est pour avoir eu vent de cette rumeur entre les murs même de Paris que j'ai décidé d'entreprendre ce voyage.
J'ai respecté mon vœux de silence bien trop longtemps. Je devais désormais vérifier les dires des anciens arcanistes de mon ordre.
Le Pape lui même avait ordonné le silence à notre cercle restreint d'initiés après avoir lu les écrits que nous lui avions présentés.
Je me garderais bien de deviner ses propres pensées, mais à mes yeux cela n'était que mythes et croyances de païens apeurés.
Notre ordre a été dissout suite à ces révélations jugées calomnieuses et blasphématoires.
Nous évoluions dans le plus grand secret et notre disparition n'éveilla aucun soupçon.
J'officiais alors dans l'abbaye de mon quartier natal. Mais une nuit j'accueillis trois réfugiés tourmentés et affolés. Il s'agissait d'une mère et de ses deux enfants.
Dans leurs récits décousus j'appris que le père avait succombé en tentant de les protéger alors qu'ils traversaient ce, dit précédemment, hameau. Mon abbaye étant la plus grande maison de Dieu à leur portée ils sont venus chercher refuge ici-même.
Hélas, leurs dires concordaient avec les découvertes mises à nues par mes confrères. Et comme je m'y attendais, dans la crainte, la mère et ses deux enfants trouvèrent la mort suite à une infection généralisée inexplicable, du moins pour ceux qui étaient encore innocents.
Secrètement je décidais d'envoyer deux mercenaires protecteur de la Foi sur les traces du père et du lieu de sa mort.
Ils ne revinrent jamais. Mais une lettre me parvint portant le sceau de notre évêché.
Ils découvrirent des restes qu'ils attribuaient au père sans pouvoir l'affirmer.
La chair pourtant vieille d'à peine deux semaines était dans un état putride de décomposition.
Les os qu'ils restaient étaient nécrosés et noircis, baignant dans des flaques à l'odeur pestilentielle et d'une noirceur terrifiante.
Ils mentionnaient également la présence de traces incompréhensibles.
Des empreintes relativement profondes et crochues. Portant de flagrants doigts et orteils humains.
Cela dit les marques indiquaient clairement que ces êtres se déplaçaient à quatre pattes, comme des bêtes.
Ils ont pu repérer leur possible antre et précisaient que le lendemain si le soleil était resplendissant, ils effectueraient un repérage plus en profondeur.
Après la lecture de cette lettre, je restais la nuit à prier pour trouver conseil.
J'attendis sept jours sans nouvelle et me mis en marche.
C'est ainsi que je me suis retrouvé aux portes du village maudit, à la quête de preuves.
Des preuves que des êtres maléfiques, démoniaques, errent dans notre monde.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux. Et notre bon Pape lui-même devra agir.
Je n'ai pu retrouver aucune trace du père et des deux mercenaires.
J'ai malgré tout pénétré l'enceinte du village. Comme je m'y attendais, nul homme ne vivait encore ici. Un crucifix dans une main, les Écritures Saintes dans l'autre, je me trouvais juste au dessus de galeries immenses infectant la terre sur des hectares.
Je découvris l'une des entrées au cœur même de l'ancienne église, percée derrière l'autel.
Je ne pu réprimer un cri de terreur qui réveilla des ombres malignes.
En réponse à mon effroi, des reniflements, des grognements, et ce que je suppose être des mots, roulèrent dans ces cavernes jusqu'à mes os.
Je pris la fuite et me réfugia au plus haut clocher de notre abbaye.
Je me terre à présent ici et mets sur papier tous ces éléments.
Je vous en conjure, ouvrez les yeux !

Nous ne sommes pas seuls.


Aimeric Lerat (Hangsvart) tous droits réservés 
02/07/2015

mercredi 17 juin 2015

Mr.Boyld

Je rapporte ici les détails d'une enquête qui fut censurée pour le plus grand nombre et pour le bien de notre civilisation. Je ne sais pas si mes écrits pourront me sauver, j'en doute, mais je me dois de prévenir la population.
Toutes les preuves formelles ont été supprimé minutieusement. Il ne reste aucune photo et, dans mon ultime sursaut de bon croyant, toutes les vidéos ont été effacées.
En effet j'étais le seul à être en possession des preuves visuelles originales.
J'occupais le poste d'enquêteur principal dans cette affaire qui défraya les chroniques il y a quelques mois de cela. Les journaux en firent leur une pendant une bonne semaine. Mais leurs accès aux informations étaient contrôlé et très peu, même au gouvernement ou à la police, ont su autre chose que ces titres vendeurs.
Les autorités ont veillées rapidement à porter le doute sur un acte de cannibalisme immonde.
Tous y ont cru.
Mais je ne peux plus me taire.
Ma vie fut condamnée dès mes premiers pas dans ces égouts abandonnés.
C'est moi qui a enregistré ces vidéos. C'est moi qu'elles ont vu à la suite de l'arrestation du maintenant renommé Mr.Boyld.
Je tente de garder mon calme et de contrôler ma respiration.
Cet infirmier quinquagénaire ne s'emparait pas des habitants de la morgue uniquement pour lui.
Je pense que nous ne saurons jamais si il a réellement prit part aux festins nécrophages qui ont été pratiqué dans les ombres sous nos rues et nos maisons.
Était il protégé de la mort par sa folie ?
Ou, comme je le crains, avait-il perdu toute humanité en goûtant la viande humaine qu'il se procurait ?
Je vois d'ailleurs en cela, mon unique chance de survie.
Et sa folie n'était elle pas simplement le résultat de cet acte de barbarie ?
Me condamnerais-je moi même à la folie ?
Ou aurais-je le courage de mettre fin à mes jours ?
Il y a encore de nombreuses découvertes à mettre au jour.
Je ne saurais expliquer ces choses rationnellement.
Mais elles existent.
Je ne sais pas si la suppression de la vidéo fut une bonne chose.
Mais qu'importe, maintenant, j'en suis là.
Boyld savait qu'il était condamné et qu'il ne pouvait pas s'en sortir.
Il m'a tendu un piège pour que je continue son œuvre.
C'est à vous maintenant de les éliminer.
En pièce jointe de cet article, une carte vous indiquera l'entrée exacte de l'ancien tunnel.
N'y pénétrez pas !
Sous aucun prétexte !
Sinon, mon sacrifice aura été vain.
Détruisez tout. Brûlez tout.
Je ne sais comment vous devriez vous y prendre.
Je n'ai plus âme à concevoir de tels stratagèmes.
Ce que j'ai vu …
Mon Dieu …
Ces immondices pourrissantes …
Leur visage presque humain. Ce … ces cavités plus profondes qu'aucune nuit.
Ils n'y avaient plus d'yeux, seulement deux précipices, emplis de haine et d'une faim cauchemardesque.
Leur corps humanoïdes, aussi maigres que des cadavres, aussi sombres que le pétrole.
Et la texture de leur peau … Pâteuse et collante.
Dégageant une puanteur affreuse.
Une infection telle que mon bras, là où l'une d'entre elle me toucha, se nécrosa, dégorgeant un liquide purulent.
Aujourd'hui amputé, et comme marqué au fer rouge, mon moignon n'a pas perdu cette couleur de suif.
Leur voix, ce chuintement gutturale, mi-articulé mi-gargouillé, ne cesse de résonner en moi.
Mes nuits ne sont plus que cauchemars, et mes jours, terreur.
Ces créatures, ces engeances du chaos !
Elles ont besoin d'un intermédiaire. L'époque où elles pouvaient sortir et arpenter nos rues à la lueur de la lune est révolue. Depuis des siècles désormais, elles se terrent ici, contaminant un être suffisamment vaillant pour leur apporter leur nourriture odieuse.
C'est ici que Mr.Boyld joue son rôle.
Depuis vingt ans il chassait pour elles.
Nombre de disparitions restent irrésolues chaque année.
Et lorsque sa chasse était infructueuse, il profanait la morgue de son hôpital.
C'est ainsi que nous l'avons démasqué.
La presse ne parla que de la petite dizaine de cadavres disparus.
Mais je pense qu'il est la cause de plusieurs centaines de disparitions.
Il n'est peut être pas le seul à s'occuper de ce réseau nécrophage.
Quoi qu'il en soit ces choses doivent être détruites !
Leur existence est un danger !
Ces créatures pullulaient dans ces tunnels abandonnés.
Grand Dieu, elles sont peut-être déjà assez fortes pour sortir seules.
Je ne suis pas sûre mais … il y a des ombres qui rôdent près de moi.
La nuit quand je sens leur présence.
Il y a trois jours je suis arrivé en panique sur le seuil de ma maison.
Je ne suis plus ressortis depuis. Et la nuit je veille.
Mon jardin entier est couvert de pourritures. Mes fleurs sont mortes.
Mes arbres fruitiers sont morts. Ma pelouse est noirâtre.
Tout ceci ne peut-être que dû à leur présence.
C'est pourquoi je n'envisage même plus de subvenir à leur besoin.
Je pense être perdu.
Une fois que mon article sera paru sur ce blog à usage unique, je mettrais fin à ma vie.
Je suis sûr qu'elles retournent à chaque levé de soleil dans leur antre.
Je vous en supplie brûlez tout !
Je regarde une dernière fois la photo de mon fils.
Et prends mon courage à deux mains.


Aimeric Lerat (Hangsvart) tous droits réservés 
16/06/2015

lundi 25 mai 2015

Nécrophages

Nécrophages

Il y eu un temps où les ombres ne faisaient que suivre leur maître.
Un temps où je pouvais admirer sans crainte les couleurs du crépuscule.
Ce temps est révolu.
Dès lors où j'ai plonger mon regard dans ces secrets ancestraux.
Dès lors où les sons qui nous entourent se sont révélés n'être qu'une illusion.

J'ai cru au commencement que mon esprit s'était brisé.
Les spécialistes ont conclu à une maladie psychique.
Les traitements se sont enchaînés, et je devins un cas parmi tant d'autres de schizophrénie.
Certes, il y eu une amélioration. Et je crus au bout de huit ans voir la fin de ce tourment.
Mon état est devenu stable. Et mon monde, que les psychiatres qualifiaient d'imaginaire, me devint familier et confortable. Plus aucune peur, ou presque, ne venait m'entraver.
Je restais, bien sûr, un marginal, ayant pour dégoût la société, n'aspirant qu'à une retraite paisible loin du monde et des hommes.
J'étais misanthrope depuis déjà quelque temps et je l’acceptais parfaitement.
Je pus reprendre le cours de ma vie, stoppé il y a une dizaine d'année.
Les choses se présentaient bien. J'avais entamé une formation et un métier était à la clé.
Malgré cela, certains détails que je pris à la légère me firent ouvrir les yeux.

J'attribuais mon regain misanthropique à la disparition des autres symptômes.
Et de ce fait, mon attrait pour le coté morbide de mes hallucinations me semblait en découler.
Depuis le début des traitements je me suis exprimé à travers la musique.
Et à cette période je me suis mis à expérimenter de nouveaux sons.
De nouvelles sphères sonores.
Les vibrations, d'échos en échos, de grondements en chuintements, me connectaient à ce monde imaginaire. Faisant apparaître mes nécrophages et autres monstres de mes hallucinations.
Ces créatures de cimetières m'avaient adopté au cours des ans.
Et moi qui croyais avoir une imagination trop fertile.

Le monde que nous voyons est restreint.
Les sons que nous percevons sont filtrés.
Des êtres, tout un univers, côtoient nos maisons, nos jardins, nos villes, nos égouts.
Ne vous êtes vous pas demandés pourquoi tant de disparitions restaient irrésolues ?
Nous partageons nos vies et nos morts avec des choses innommables.
Nos sépultures sont vidées par des goules affamées.
Celles suffisamment puissantes s'en prennent aux vivants.
Mais il n'y pas seulement des nécrophages.
Des tunnels existent. Des tunnels qui traversent nos murs, qui transpercent les sols.
Des tunnels qui pénètrent nos rêves.

J'étais, je ne sais comment, connecté à ce réseau inhumain.
Je pouvais ouvrir ma vision et apercevoir les ombres d'un autre monde.
Je ne suis pas le seul doté de ce sens.
Et je sais que je vais bientôt rejoindre ceux qui l'ont perdu.
Je sais trop de choses à leur sujet.
Et je sais que personne ne peut se protéger d'eux.
Ils sont capables d'envahirent nos rêves et de les changer en cauchemars.
C'est ainsi qu'ils nous chassent.
Pour la plupart de ces abominations, la proie doit être morte et putréfiée.
Ils nous font vivre le cauchemar, établissant un lien avec nos muscles.
Notre esprit tente vainement de leur échapper et se fait traquer.
Notre corps obéit inconsciemment à notre rêve et se retrouve exactement là où les nécrophages veulent nous conduire.
Une zone isolée loin des regards humains.
Le lieu atteint, ils nous exécutent sauvagement, ils nous mutilent, nous torturent, démembrent notre esprit et broient nos os.
Laissés pour mort, la nature finit son cycle.
Et les nécrophages se régalent de nos restes.

Je sais que bientôt viendra mon tour.
J'attends donc ce contact et rédige ce que j'ai pu apprendre à leur sujet.

Les nuits sont les heures les plus affreuses.
Car ils m'ont trouvé et tourmentent mes rêves.
Ils jouent avec leur proie et s'en délectent.
Ils m'affaiblissent, ôtant ma volonté de mettre fin à mes jours.
Je tente de ne plus me nourrir, mais ils m'apportent de la nourriture.
La tentation, la détresse et la douleur me font parfois céder.
Je sombre souvent dans un état de semi conscience affreux.
Alors je les vois à la fois dans mes cauchemars mais aussi dans la réalité.
Et lorsque je reviens à moi, je découvre de nouvelles plaies sur mon corps.
Leur apparence est humanoïde, une caricature putréfiée d'un homme.
Ils se déplacent à quatre pattes mais peuvent se maintenir debout.
Ils semblent avoir un langage et communiquent entre eux.
Dans mes rêves ils dégagent une forte odeur de pourriture et de mort.
Ils sont relativement grands et bien bâtis.
Leur force est nettement supérieure à celle des hommes.

Je suis à présent trop faible.
Je ne peux plus continuer ainsi.
Cette nuit s'en sera fini.

Aimeric Lerat (Hangsvart) tous droits réservés
24/05/2015

mardi 6 janvier 2015

Les Veilleurs

Les Veilleurs


Il y a des choses de notre monde qu'il vaudrait mieux garder cachées.
Elles nous côtoient et frôlent nos ombres, elles respirent et s'immiscent dans nos rêves.
Nos villes nous semblent sûres et connues, et pourtant d'innombrables souterrains se remplissent chaque nuit de veilleurs silencieux en quête de failles ouvertes sur nos vies.
Ne commettez pas mon erreur. Restez confiants dans vos connaissances et vos croyances.
Ne cédez pas à la curiosité, au désir de savoir, à la volonté de la découverte.

J'étais sujet à une étrange révulsion du monde qui m'entourait, des gens qui se pressaient, vivants et se mouvant de toute part. Je me perdais fréquemment dans de sombres pensées et déjà je m'apprêtais à quitter votre réalité. J'affectionnais particulièrement mes sorties nocturnes lors de ces jours de froid et d'humidité. Le brouillard m'enveloppait et la nuit, dans sa solitude, me comprenait. Du moins c'est ainsi que je le ressentais.
Une nuit, plus perturbé par la journée des vivants, de leurs codes et de leurs manières, je me laissais happer dans les ombres omniprésentes. Arrivé, sans trop savoir comment, dans un champ en bordure de forêt je me mis à écouter. À ressentir les vibrations de l'air et du sol. Et ce son de la terre, si sourd et lancinant, grondant et semblant se répercuter dans des cavités souterraines insondables, ne me quitta plus.
Revenu à mon appartement dans cette ville si humaine, je l'entendais résonner encore faiblement, souvent estompé par des bruits plus familiers. Au contact de mes semblables, dont je me sentais si différent, ce raclement caverneux s'amplifiait jusqu'à égalité des voix lassantes qui m'assaillaient. Mon esprit solitaire se troubla de plus en plus, chaque jour, et un besoin naquit en moi, de retraite isolée des hommes, d'images de cavernes et d'obscurité, d'arbres et de forêts. Il me vint de sombres sujets de réflexions. Que je n'ose révéler encore.
Je retournais fréquemment hors de la ville, dans différents champs, différents bois, écouter la terre.
Ces fréquences finirent par me faire apercevoir des choses, qui au début n'étaient que des ombres, vaguement humaines et timides. Elles me quittaient dès que je retournais en ville, et que le son diminuait à nouveau.
Bien sur je commençais à avoir peur. Et je me décidais à ne plus sortir de la ville, ni même continuer mes promenades nocturnes. En réalité je sortais le moins possible de mon appartement. N 'éprouvant plus qu'un vague dégoût de tout ce monde. Mais la voix de la terre ne faiblissait pas. Au contraire.
Bientôt elle fit naître dans ma propre demeure des êtres aux formes répugnantes, de lointaines caricatures d'hommes et de femmes, au corps semblable à des charognes. Leurs yeux immobiles ne clignaient jamais. Leur souffle lent et profond accompagnait les chants de la terre.
Mais ma peur s'évapora rapidement. Il n'y avait aucune agressivité dans leur comportement. Ils semblaient, au contraire, venir m'observer et, je le compris bien vite, ils voulaient entrer en contact avec moi. Au début, ils restaient cachés derrière des meubles, dans les ouvertures des portes. Voyant ma réaction pleine de curiosité un contact s’établit.
Je les accueillais désormais avec plus de plaisir que mes semblables. Ils ne savaient pas réellement parler notre langue, mais parfois ils prononçaient des mots et des phrases hésitantes. De leur voix rauque et grésillante.
Je devais maintenant effectuer un choix, entre le monde des ombres et l'amertume de la lumière.
Ce fut une décision rapide. Trop peut-être.
Je me retrouvais désormais entraîné dans leurs veilles nocturnes sous les méandres des rues et des maisons. Je découvrais des passages jusqu'au seuil des lits des dormeurs innocents, et je vis des créatures bien pire que leurs cauchemars, traînant leur corps hideux et froid jusqu'au contact des vivants. Mais on me faisait toujours me retirer avant les heures les plus sombres de la nuit.
Aujourd'hui je regrette d'avoir insisté pour veiller avec mes nouveaux amis jusqu'au levé du jour.
Ma curiosité me fit perdre et dépasser les limites de mon humanité.
C'est pourquoi je vous mets en garde de ne jamais prêter l'oreille aux murmures de la terre, aux grondements des cavernes.
À présent je vis encore parmi vous. Mais peu d'entre vous peuvent encore me voir.
J'ai réellement appartenu aux ténèbres dès mon premier repas en compagnie de ces créatures, préparé par leurs soins. Je n'ai pas assisté à la préparation. Sinon il n'en serait pas ainsi aujourd'hui.
Si seulement ce goût n'était pas autant délectable. Si seulement il n'agissait pas sur moi comme une drogue puissante.
Cette nuit donc, je participais enfin à un de leur festin vampirique. Nous étions dans une cave en pierre d'une quelconque maison. Je ne savais même pas si elle était encore habitée, ou si ce n'était qu'un refuge. La viande qu'on me proposa, crue mais si tendre, émerveilla mes sens et me fit un effet qu'aucune drogue ne pourra jamais reproduire. Mes sens s'ouvraient à un monde encore inaccessible, et pourtant si complexe et simple à la fois. Je perçu la respiration des occupants officiels de la bâtisse, les battements de leur cœur, les effluves de leurs rêves.
On me conduit dans cette état sensoriel intense dans ce qu'ils appelaient la réserve.
Le monde des vivants m’apparut comme jamais je ne le vis. Et cette vision ne me quitta plus.
Nous arrivions dans une salle souterraine immense au plafond relativement bas, composé de milliers de portes alignées. Je ressentis la succulente nourriture qu'elles contenaient, et je m'enivrai déjà à l'idée du festin.
Une de ces goules ouvrit une porte d'où émanait la plus merveilleuse odeur.
Et dans mon horreur et ma joie, dans mon dégoût et ma faim, je vis s'écrouler sur le sol des lambeaux de chair, d'os, de peau et d'organes divers.
Je compris alors dans une excitation morbide et malsaine que nous étions sous le plus grand cimetière de la ville.
Dès lors je devins un mangeur d'os et de cadavres. Je participais à la sélection des humains les plus succulents et à leur mise à mort.
Je pris vite le goût du meurtre et de la torture. J'adorais particulièrement m'immiscer dans leur rêves et les changer en cauchemars si affreux que leur cœur et leur système nerveux lâchaient sous l'horreur.
Mais dans les ruines de mon humanité, un sentiment de culpabilité restait comme une brume matinale, ouvrant parfois les affres du désespoir et des lamentations.
Je vacillais donc entre une excitation morbide et un affreux dégoût de mon être.
Je suis désormais terriblement déchiré entre deux états de ma personnalité et mon désespoir ne s’efface que lors de nos parties de chasse et nos festins sanglants.

C'est pourquoi je vous incite fortement à rester dans votre suffisance et votre ignorance salvatrice.
Ne vous écartez pas des sentiers éclairés de votre monde restreint. Ne pénétrez pas dans les grottes et cavernes du monde souterrain. Ne prêtez pas l'oreille aux soupirs sournois des entrailles de la terre.


Aimeric Lerat (Hangsvart) tous droits réservés
06/01/2015