Tourments
Je
rapporte ici une lettre retrouvée lors de l'exploration de la grotte
Krubera-Voronya, dans la dernière salle avant le gouffre plongeant
verticalement pendant plus de cinq cents mètres, qui termine cette
incroyable cavité naturelle, dont la profondeur reste inégalée.
Bien
que ce témoignage fut signé, mais malheureusement non daté,
Nous
ne savons rien de son auteur.
Pris
dans mes tourments, grands tourbillons pourpres et sombres,
Mon
écœurement s’intensifia et me révéla une autre dimension,
Qui
devrait rester cachée au confins de ses abîmes inconnus.
Le
monde qui m'entourait se voila finement sous la projection
De
créatures hideuses qu'aucun homme n'avait jamais vues.
Mon
sommeil horrifié me laissa sombrer un peu plus.
Les
rêves ne trouvant plus de fin, imbriqués les uns dans les autres,
Me
perdaient chaque nuit plus profondément.
Et
pourtant après tous levers de soleil la réalité était pire.
Je
décidai d'entamer un voyage vers mes origines,
Afin
de découvrir les raisons de mes visions morbides et d'y mettre un
terme.
J'arrivai
dans le Caucase au début de l'automne bien décidé
À
explorer ces régions montagneuses que mes ancêtres,
Il
y a de cela plusieurs siècles, avaient fui précipitamment,
Vraisemblablement
suite à une découverte inhumaine.
Je
possédai un vieux journal intime familial légué de génération en
génération,
Pour
que tous connaissent l'histoire périlleuse de notre migration.
Il
y était inscrit que notre famille, qui comptait dans ses ancêtres
des sorciers puissants,
Fut
toujours crainte et respectée dans un territoire situé désormais
principalement en Géorgie.
J'espérais
comprendre mes visions et les apaiser.
Cependant
les montagnards éprouvaient encore une peur indomptable à la seule
entente de notre nom alors que dans les villes et villages plus
modernes personne ne semblait s'en souvenir.
J'obtins
uniquement un mot double formé en partie de notre patronyme,
Krubera-Voronya.
J'appris auprès de guides de montagne qu'il s'agissait
d'une grotte extrêmement profonde située au-delà de deux milles
mètres d'altitude, mais qui reste encore aujourd'hui très peu
explorée à cause des superstitions locales, et eux-mêmes
acceptèrent de m'y amener mais sans y pénétrer.
Déterminé à mettre fin à mes souffrances et à ces
visions cauchemardesques,
J'acceptai leur proposition, et après une montée
difficile nous atteignîmes l'orifice inquiétant qui béait face à
nous, emplissant de terreur mes guides qui redescendirent sans
tarder.
Me retrouvant seul à fixer cette gueule immense aux
crocs de pierres millénaires,
Prête à happer mon âme. Je rassemblai mon courage et
commençai mon voyage spéléologique.
L'intérieur sombre éclairé par mon unique lampe
frontale, qui me parût bien ridicule,
Luisait et suintait rendant mes prises incertaines et
glissantes.
En effet cette cavité était plus proche d'un gouffre
que d'un tunnel,
Dévoilant un chemin abrupte et stérile où régnait un
odeur de profondeur insoutenable.
Pris de nausée, mes prises devinrent moins assurées et
bientôt ma vision se troubla,
Me conduisant à la chute inévitable dans les abysses
nauséabonds.
Ma tête heurta un roc et je perdis connaissance.
Après un sommeil profond, comme je n'en avais pas
ressenti depuis longtemps,
Je m'éveillai sur un sol humide et constatai que ma
lampe était brisée.
Plongé dans les ténèbres, je me relevai encore
tremblant appuyé contre la paroi rocheuse,
Avançant à tâtons dans des couloirs encore vierges de
tout passage humain.
Mes yeux lentement habitués distinguèrent une lueur
tremblotante,
Qui me conduisit à une salle étrangement équipée de
ce qui semblait être un autel,
Où reposait dans l'attente d'une nouvelle lecture un
grimoire sans âge à la couverture repoussante,
Et à son coté une dague aux formes et aux proportions
improbables.
Juste derrière l'autel immémorial sombrait un abîme
hideux d'où émanait la lueur changeante
De rouge et de vert non sans rappeler un brasier
infernal.
Et comme pour me saluer, un cri sourd et rocailleux,
Provenant d'une gorge qui ne devrait pas être dans
notre monde,
Raisonna et fit vibrer chacun de mes organes ranimant
cette nausée insoutenable.
L'occulte livre avec sa couverture répugnante, faite de
chair et de peau certainement humaines,
Me dévoila nombre de secrets écœurants et de
révélations qui plongeraient n'importe quel esprit normalement
constitué dans la folie, mais dont je fus protégé par mes récents
tourments préparatifs.
Ne pouvant désormais plus supporter une existence
humaine,
Je fini ici ce témoignage, confirmant l'appartenance de
ma famille à un culte impie,
Et mets un terme à cette abomination en accomplissant
le dernier rituel,
Me jetant avec le livre maudit dans les ténèbres
luisantes de cette immonde bouche vorace.
J'implore, à présent, que soit condamnée cette grotte
et ses secrets d'un autre monde.
Adieux.
Ivan Voronya
Aimeric Lerat (Hangsvart) tous droits réservés
18/09/2014