mardi 4 novembre 2014

Eric Turgand

Eric Turgand




Mon dégoût primaire de l'humanité ne faisait que croître depuis mon emménagement
Dans cette ancienne bâtisse d'un des plus vieux quartiers de Paris.
Elle avait été construite peu après la révolution et son intérieur restait inchangé.
Elle fut léguée de génération en génération d'une famille noble du Nord de la France,
Venue dans la capitale pour des raisons mystérieuses qui finirent par me hanter.
Je l'avais acquise grâce à un arbre généalogique douteux prouvant une soi-disant parenté,
Avec ses anciens habitants, morts depuis peu, dont j'étais l'unique descendant,
Et qui refusaient, dans leur testament, toute vente aux enchères d'un bien qui leur était si précieux.
Acceptant avec joie dans un premier temps ce magnifique héritage,
Je quittai en hâte mon appartement de Lille pour vivre enfin dans une belle maison.
La cinquantaine bien passée, veuf endurci, professeur las d’anthropologie,
Ce déménagement me promettait une nouvelle vie.
Mais après deux jours à errer seul dans ces grands couloirs et ces pièces sombres et poussiéreuses,
Un malaise inconnu s'empara de moi, incrustant une peur insensée dans mes entrailles.
Je me surpris bien vite à jeter des coups d’œil furtifs par-dessus mes épaules,
À guetter le moindre son de cette maison qui semblait posséder une âme propre.
Ses craquements se modulèrent bien vite en gémissements plaintifs,
Et il me semblait percevoir des fragments de voix issus de la cave humide.
En quelques jours mon comportement se changea en une crainte du monde extérieur,
Laissant constamment les volets clos et la porte fermée à clé.
Je n'allumais plus la télévision qui me remplissait d'un dégoût maladif de mes semblables.
Je rentrais en conversation avec moi-même, entre moi-mêmes,
Et parfois arrêtais soudainement tout mouvement et toute discussion, pris d'une terreur pesante,
Accablé par la présence invisible d'êtres malfaisants.
Je laissais alors toutes les pièces ouvertes, apeuré de tomber sur une chose hideuse à l'affût derrière une porte close ; j'allumais le plus de lampes possible la nuit venue, et pourtant chaque soir, un attrait morbide me pressait de plus en plus à descendre dans la cave.
Bientôt des visions se précisaient, comme des images projetées dans mes yeux, mais détachées du monde réel. Je voyais des êtres qui furent certainement humains à leur époque, mais qui désormais n'étaient plus qu'un tas de chair et d'os dans un état de putréfaction écœurant.
Je restais la majeure partie de la journée sur mon lit, que j'avais placé dans un coin de ma chambre, me permettant de surveiller toutes les entrées de la pièce.
Mais bien vite les charognes vinrent me parler et tout un monde grésilla devant la réalité.
Des bébés mort-nés, encore gluants, rampaient sur le sol et descendaient des murs,
Convergeant dans ma direction comme attirés par de la chair fraîche,
Des gargouilles ailées et d'une carrure impressionnante défilaient,
Sans porter d'intérêt à mon corps désemparé,
Et ces caricatures pestilentielles d'humains allaient et venaient,
Menant leur propre vie et interagissant avec le monde.
Pourtant je savais que rien n'était réel et que la folie s'était emparée de moi.
Dans l'un de mes derniers raisonnements logiques, qui me semble flou à présent,
Je descendis à la cave jusque là restée fermée et y découvris un accès
À un tunnel s'enfonçant en pente douce sous la ville connue pour ses catacombes.
Par chance une porte robuste fermait ce passage vers un monde souterrain,
Mais comportait une grille à hauteur du visage laissant apercevoir le début du couloir de pierre.
Bousculé par l'effroi, je décidai de ne pas l'ouvrir et d'appeler Benoît, mon ami resté dans le Nord.
Je lui laissai un message ou j'imagine que mes tourments se reflétaient suffisamment,
Car le lendemain une ambulance vint me chercher et me transféra ici,
Dans cette chambre stérile d'un hôpital psychiatrique.
Et je suis aujourd'hui soulagé de m'être débarrassé de toute responsabilité face à cet héritage maudit, où la municipalité effectua de surprenantes découvertes.
En effet le tunnel conduisait à une chambre mortuaire antérieure aux célèbres catacombes,
Isolée dans les sous-sols de Paris à près d'une centaine de mètres de profondeur.
Il semblerait que des actes d'une cruauté rare y furent commis,
Sur des adultes mais aussi des enfants, vraisemblablement au nom d'un dieu infernal.

Je peux vous confirmer docteur, que la mise par écrit de tout ceci, m'a soulagé quelque peu.
Cependant je crains que quelque chose d'effrayant se soit réveillé en moi,
Et je resterai changé, je le sens, sans jamais pouvoir retrouver une vie normale.


Aimeric Lerat (Hangsvart) tous droits réservés
17/09/2014

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