Eric
Turgand
Mon dégoût primaire de
l'humanité ne faisait que croître depuis mon emménagement
Dans cette ancienne
bâtisse d'un des plus vieux quartiers de Paris.
Elle avait été
construite peu après la révolution et son intérieur restait
inchangé.
Elle fut léguée de
génération en génération d'une famille noble du Nord de la
France,
Venue dans la capitale
pour des raisons mystérieuses qui finirent par me hanter.
Je l'avais acquise grâce
à un arbre généalogique douteux prouvant une soi-disant
parenté,
Avec ses anciens
habitants, morts depuis peu, dont j'étais l'unique descendant,
Et qui refusaient, dans
leur testament, toute vente aux enchères d'un bien qui leur était
si précieux.
Acceptant avec joie dans
un premier temps ce magnifique héritage,
Je quittai en hâte mon
appartement de Lille pour vivre enfin dans une belle maison.
La cinquantaine bien
passée, veuf endurci, professeur las d’anthropologie,
Ce déménagement me
promettait une nouvelle vie.
Mais après deux jours à
errer seul dans ces grands couloirs et ces pièces sombres et
poussiéreuses,
Un malaise inconnu
s'empara de moi, incrustant une peur insensée dans mes entrailles.
Je me surpris bien vite à
jeter des coups d’œil furtifs par-dessus
mes épaules,
À guetter le moindre son
de cette maison qui semblait posséder une âme propre.
Ses craquements se
modulèrent bien vite en gémissements plaintifs,
Et il me semblait
percevoir des fragments de voix issus de la cave humide.
En quelques jours mon
comportement se changea en une crainte du monde extérieur,
Laissant constamment les
volets clos et la porte fermée à clé.
Je n'allumais plus la
télévision qui me remplissait d'un dégoût maladif de mes
semblables.
Je rentrais en
conversation avec moi-même, entre moi-mêmes,
Et parfois arrêtais
soudainement tout mouvement et toute
discussion, pris d'une terreur pesante,
Accablé par la présence
invisible d'êtres malfaisants.
Je laissais alors toutes
les pièces ouvertes, apeuré de tomber sur une chose hideuse à
l'affût derrière une porte close ; j'allumais le plus de
lampes possible la nuit venue, et pourtant chaque soir, un attrait
morbide me pressait de plus en plus à descendre dans la cave.
Bientôt des visions se
précisaient, comme des images projetées dans mes yeux, mais
détachées du monde réel. Je voyais des êtres qui furent
certainement humains à leur époque, mais qui désormais n'étaient
plus qu'un tas de chair et d'os dans un état de putréfaction
écœurant.
Je restais la majeure
partie de la journée sur mon lit, que j'avais placé dans un coin de
ma chambre, me permettant de surveiller toutes les entrées de la
pièce.
Mais bien vite les
charognes vinrent me parler et tout un monde grésilla devant la
réalité.
Des bébés
mort-nés, encore gluants, rampaient sur le sol et
descendaient des murs,
Convergeant dans ma
direction comme attirés par de la chair fraîche,
Des gargouilles ailées et
d'une carrure impressionnante défilaient,
Sans porter d'intérêt à
mon corps désemparé,
Et ces caricatures
pestilentielles d'humains allaient et venaient,
Menant leur propre vie et
interagissant avec le monde.
Pourtant je savais que
rien n'était réel et que la folie s'était emparée de moi.
Dans l'un de mes derniers
raisonnements logiques, qui me semble flou à présent,
Je descendis à la cave
jusque là restée fermée et y découvris un accès
À un tunnel s'enfonçant
en pente douce sous la ville connue pour ses catacombes.
Par chance une porte
robuste fermait ce passage vers un monde souterrain,
Mais comportait une grille
à hauteur du visage laissant apercevoir le début du couloir de
pierre.
Bousculé par l'effroi, je
décidai de ne pas l'ouvrir et d'appeler Benoît, mon ami resté dans
le Nord.
Je lui laissai un message
ou j'imagine que mes tourments se reflétaient suffisamment,
Car le lendemain une
ambulance vint me chercher et me transféra ici,
Dans cette chambre stérile
d'un hôpital psychiatrique.
Et je suis aujourd'hui
soulagé de m'être débarrassé de toute responsabilité face à cet
héritage maudit, où la municipalité effectua de surprenantes
découvertes.
En effet le tunnel
conduisait à une chambre mortuaire antérieure aux célèbres
catacombes,
Isolée dans les sous-sols
de Paris à près d'une centaine de mètres de profondeur.
Il semblerait que des
actes d'une cruauté rare y furent commis,
Sur des adultes mais aussi
des enfants, vraisemblablement au nom d'un dieu infernal.
Je peux vous confirmer
docteur, que la mise par écrit de tout ceci, m'a soulagé quelque
peu.
Cependant je crains que
quelque chose d'effrayant se soit réveillé en moi,
Et je resterai changé, je
le sens, sans jamais pouvoir retrouver une vie normale.
Aimeric Lerat (Hangsvart) tous droits réservés
17/09/2014
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